En 2009, le critique d'art JP Gavard Perret rédigeait une critique de l'ensemble de l'oeuvre sur ART UP
Il se penche à nouveau sur les pièces les plus récentes.
Enila Tityad :
Emulsions lentes et histoires en fragment
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Le temps passe, les écheveaux se transforment en un liquide épais, liquoreux et nous voici presque malgré nous ramené à l'espace de la déposition. La matière vient une fois de plus affirmer son autorité dans son épaisseur. On voit ce que l'artiste tisse, on le touche, on met à propement parler le nez dedans aussi pour sentir.
Nous voilà exposés au désir de la couleur, des formes, des effluves en écume. En tissant l'artiste Enila Tityad les filtre. Parfois des ombres y passent et disparaissent. Le jus laineux réinvente le secret. Il va tomber en nous.
Dans la texture d'un tel art la mémoire ne cesse de se dédoubler pour approfondir le parfum, la tessiture. Chaque pièce ouvre des possibles auxquels on peut donner le nom d'histoires ou de fables.
On peut donc parler du textile comme d'un cartographie poétique mais aussi carapace. Soudain l'art n'a plus besoin de support puisque la matière est à la fois l'oeuvre et son support. Pourtant jusque dans sa proximité le travail reste infranchissable. Mais qu'importe. Il donne du plaisir sensoriel ; pas moyen de l'empêcher. Alors on s'attache aux détails de chaque pièce, autant à leur figure qu'au maillage qui la crée.
Se caresse une joie pudique, l'espérance apprise, l'aventure inouie d'un parfum, le plaisir d'un souvenir. Le bonheur est surpris et la mort apprivoisée.
Pour créer, Enila Tityad ouvre ses rideaux chaque jour et y dépose ses heures. En ce sens sa création reste extatique, exorbitante. Créer est devenu un voyage de pièce en pièce, d'histoire en histoire. L'artiste fait bouillir le jus et brouille l'espace de la représentation. Elle puise son imagination à diverses sources et dans son passé pour mieux en sortir. On imagine aussi, on prolonge ce que l'artiste crée. On se perd dans des paysages que l'on ne voit bien qu'avec ses mains.
L'artiste pose les masses ondulées sur l'obscur. La matière fait barrage. "Barrage sur le Pacifique" aurait dit Duras. Et c'est bien un peu de cela dont il s'agit. Chaque pièce divise le crépuscule ou fait des bulles. L'écume apporte sa lumière.
Enila Tityad demande au textile tout ce qu'il peut donner : un accent imperceptible, une onction particulière. et à l'inverse de la peinture ou de la sculpture le textile ose la chute. Mais cette chute génère aussi une remontée. C'est un rite, ce n'est pas forcément un but ou une fin. Caresse du regard, contemplation tactile. Chaque centimètre carré peut devenir frontière et repli entre les temps qui bifurquent et se recroisent sans cesse.
Dans son atelier Enila Tityad couche la lumière au travers de ses mains pour laisser monter une clarté de fièvre.
La voici dans le presque silence de l'écheveau du temps.
C'est la pensée de l'impensable...